Têtu comme un Alsacien

Et le garde resta de marbre !
 Il paraît que les Alsaciens sont têtus...comme leurs cousins bretons ! Mais, on les dit aussi sérieux, dynamiques, courageux et fidèles. Est-ce pour ces raisons que l'empereur Napoléon III leur accordait sa préférence comme le démontre le fait suivant ?

Alors qu'il n'était encore que le prince Louis Bonaparte, il avait tenté, mais sans succès, de renverser, le 30 octobre 1 836, le roi Louis-Philippe, en soulevant contre lui la garnison de Strasbourg. Certaines écrits prétendent que nombreux avaient été les soldats et citadins à crier « Vive l'Empereur », lorsque, expulsé dans la nuit du 9 au 10 novembre, il avait quitté en diligence la prison de Strasbourg pour être embarqué, quelques jours plus tard, à destination des Etats-Unis.

Triés sur le volet

     Proclamé néanmoins empereur des Français le 2 décembre 1 852, Napoléon III créa en 1 854 un corps officiel de cavalerie d'élite pour sa garde personnelle et le service du palais impérial. Il lui conféra le nom d'« Escadron des cent-gardes à cheval ». En parcourant la liste établie en 1 914 par Henry Garnier et Maurice Toussaint, on apprend que deux des officiers de l'escadron, les capitaines Schürr et Innocenti, étaient des Alsaciens ainsi que soixante-huit des cent gardes qui servirent, de 1 854 à 1 870, sous leurs ordres. Ah ! Qu'il avait belle prestance dans sa grande tenue, l'escadron des cent-gardes : les casques et les cuirasses étincelaient au soleil et les cavaliers, montés sur leurs chevaux noirs ou alezan, avaient fière allure. En tête chevauchaient les trompettes, faisant figures de hérauts d'armes, puis s'avançaient par quatre cavaliers de front les gardes avec, flottant au-dessus d'eux, les drapeaux et étendards de l'escadron.
 Pourtant, le service d'intérieur était assez fatigant pour ces soldats triés sur le volet. Il leur était demandé de conserver en faction une immobilité parfaite qui ne pouvait être interrompue qu'au passage de l'empereur ou d'un membre de sa famille, seuls personnages auxquels le garde devait le salut de l'arme. Cette consigne excessivement sévère donna lieu à un incident plutôt comique.
 Ce jour précisément, le vieux maréchal de Castellane, grand homme de guerre mais aussi original fieffé célèbre par ses colères légendaires, faisait visite aux Tuileries. Il ne manqua pas de remarquer que le garde de faction dans l 'antichambre ne l'avait pas salué. Et, courroucé de plus bel, notre maréchal de s'approcher de la sentinelle et de lui faire, sur un ton ne permettant aucune répartie, une première observation. L'homme, bien sûr, resta de marbre ! Et le maréchal d'ordonner, de crier, de tempêter, menaçant même le pauvre du conseil de guerre et du peloton d'exécution ! Nulle réaction, si ce n'est l'immobilité absolue d'un garde toujours impassible et l'oeil fixé à quinze pas ! « Faites-moi enlever ce bougre-là » vociféra le maréchal à l'encontre d'un officier d'ordonnance qui passait par là ! Et celui-ci de chercher à expliquer, mais Castellane continua son vacarme de tous les diables ! L'incident ne s'acheva qu'avec l'arrivée de l'empereur. Il se chargea, lui-même, de calmer l'irascible maréchal, de justifier l'attitude de son garde...qu'il félicita chaudement par la suite !
Le soldat de faction à l'entrée des appartements privés de Napoléon III n'était autre que le nommé Strintz, de Weiterswiller.
 Il serait pourtant injuste de croire que les cent-gardes ne furent que des soldats de parade. En campagne, ils se conduisirent également comme des braves. Lors des batailles de Magenta et de Solferino, ils firent escorte à Napoléon III. Pendant les terribles batailles de Metz et de Sedan, ils ne quittèrent nullement leur souverain qui cherchait la mort et dont la mort ne voulait pas. S'ensuivirent la capitulation générale, la captivité et l'exil de l'empereur en Angleterre. Le 1erËoctobre 1870, un décret du gouvernement supprima l'escadron et le versa au 2e régiment de marche des cuirassiers. Après la capitulation de Paris de 1 871, les officiers et sous-officiers des cent-gardes furent répartis dans les 2e et 12e régiments de cuirassiers où ils firent comme de coutume merveille.

Auteur, Jean-Louis Wilbert