Sarrewerden, proie des flammes.
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La vielle pompe «Béduwé» de 1875 a été restaurée au cours de l'hiver 1994-95.
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C'était, il y a 130 ans, au matin du mercredi 2 septembre 1874. La petite
localité de Sarrewerden, délimitée par la rivière, les vestiges des
remparts et des tours médiévales ainsi que par la rue des Remparts,
resserre ses vieilles maisonnettes autour de l'église gothique du 15e
siècle. Un jour comme les autres, mais qui apportera détresse et
désolation pour nombre de ses habitants.
Après le départ des attelages menant les familles paysannes vers les
jardins et les champs s'étirant de part et d'autre de la Sarre et de la
toute nouvelle voie ferrée, le village semble avoir retrouvé son calme.
Dans les échoppes et ateliers s'affairent depuis l'aube les tanneurs et
les différents artisans de la localité. Au clocher de l'église, l'horloge
égrène les minutes. Bientôt, elle sonnera les neuf coups du matin.
Firio ! Es brennt !
Un jour comme un autre... mais voici que brusquement un cri déchire le
train-train quotidien. « Firio ! Es brennt ! » (Au feu ! Au feu !) Portes
et fenêtres s'ouvrent et les grands-mères, restées à domicile pour
s'occuper des enfants et de la cuisine, lèvent avec angoisse les yeux
au-dessus des toits. Dans le haut de la rue de l'Eglise, une grosse fumée
noire s'échappe d'une toiture...Les femmes ont compris ! Il faut donner
l'alerte et faire revenir les hommes des champs. Comme une volée de
moineaux, garçons et filles prennent leurs jambes à leur cou pour
transmettre « Es brennt ! Es brennt ! ». Le curé Georges Wunderlich quitte
précipitamment son presbytère et, suivi du maître d'école Matter, se rue
dans le sanctuaire. Tous deux s'agrippent rageusement à la corde de la
grande cloche. Le tocsin sonne, l'angoisse décuple !
Bientôt, tout le village est en effervescence.
Georges Frantz, maire
depuis novembre 1867, a quitté précipitamment sa tannerie, emmenant tous
ses ouvriers pour rejoindre le lieu du sinistre où l'on n'entend que cris
de détresse et pleurs ! La toiture de la maison faisant angle avec la rue
de l'Eglise et la rue Haute est déjà la proie des flammes ! « De l'eau !
De l'eau ! » s'exclament les uns. « Des seaux ! Des seaux ! » crient les
autres. Les personnes présentes ne se font pas prier. Une première chaîne
déjà formée par des hommes, femmes et adolescents, se constitue et relie
la fontaine et les abreuvoirs du voisinage à la « Hinter-Gasse ». Une
seconde, beaucoup plus importante, s'alimente au « Burnewiller Loch » (le
lavoir de Bournonville). Lutte sans merci et risible à la fois face à la
proportion des flammes qui, attisées par le vent, lèchent déjà deux
maisons avoisinantes où s'entassent dans les granges et greniers les
récoltes des dernières fenaisons et moissons. Bien souvent - hélas ! - les
seaux d'eau, remplis au départ à ras bord, arrivent à moitié vides, tant
la nervosité et la peur sont grandes dans les rangs des volontaires.
Jacques Frantz, qui a envoyé de suite un ouvrier à Sarre-Union, se veut
encore rassurant : « La compagnie des sapeurs-pompiers de Buggenum ne
devrait pas tarder avec son matériel d'intervention ! » En attendant,
quelques hommes plus hardis que d'autres ramènent des échelles, les
plaquent contre les murs et s'obstinent à y monter pour déverser de l'eau
entre les poutres de la charpente. Mais il leur faut descendre promptement
: la chaleur déjà les oppresse, la fumée les suffoque et les tuiles des
toits, éclatant sous l'effet de la chaleur, risquent de les blesser. Et,
comble de malchance, le vent redouble de force et se met à tourner. Voilà
que l'incendie menace les habitations d'en face. A présent, le lieu du
sinistre ressemble à une grande fourmilière bruyante : les uns se hâtent
de quitter les maisons en flammes après avoir encore saisi l'indispensable
au passage, les autres se risquent d'y pénétrer pour sauver des flammes
petits meubles, literie et habits. « Et les animaux ? Avez-vous pensé aux
animaux ? » entend-on dans l'immense clameur. Portes d'étables et de
porcheries s'ouvrent, laissant passer dans un désordre indescriptible
vaches, veaux, chèvres et cochons.
« Ecartez-vous ! » crie le maire Frantz, « voilà Buggenum ! » Avec leurs
voitures hippomobiles tractant les pompes à incendie « Grosz », avec les
voitures porte-échelles et les voiturettes-dévidoirs aux tuyaux en
chanvre, les remorques chargées de seaux en cuir, des crochets à feu et
des lances à incendie, les sapeurs en casques et uniformes venus du
chef-lieu de canton recourent maintenant aux grands moyens. Déjà fusent
les ordres du capitaine Chrétien Jung ! De l'eau, il faut de l'eau, encore
de l'eau et toujours de l'eau ! De nouvelles chaînes se mettent en place
pour remplacer les premières dont le rythme a diminué sous l'effet de la
fatigue. Les volontaires d'ailleurs ne manquent pas.
De Sarre-Union ont
afflué de nombreux citadins, alertés par le départ de la compagnie des
sapeurs. Des employés de la manufacture de chapeaux ont été autorisés à
venir apporter leur aide, des ouvriers et cantonniers affairés à
l'entretien de la voie ferrée et de la route ont, eux aussi, quitté leur
travail.
La chaîne humaine s'allonge, jeunes et vieux et même des dames et
des hommes de la grande bourgeoisie de Buggenum s'y retrouvent. A présent,
Il faut s'approvisionner en eau dans la Sarre pour alimenter de nouvelles
pompes à incendie dont celle de Bischtroff qui sont également arrivées
entre-temps à la rescousse.
Cinq maisons en cendres
Mais toutes les bonnes volontés ne suffisent pas à enrayer le feu qui
continue inexorablement ses ravages. Pas moins de cinq maisons sont
devenues la proie des flammes. Stopper coûte que coûte la propagation du
sinistre devient prioritaire ! Il faut surtout surveiller l'ancienne école
communale transformée en entrepôt pour la tannerie Frant et servant à
stocker quantité de galettes de tan, de fagots et de gerbes de paille. Ah
! Qu'une bonne pluie torrentielle serait la bienvenue, mais dans le ciel,
le vent ne fait que redoubler, tout en chassant les nuages vers l'Est ! Au
clocher de l'église sonne à présent l'angélus de midi. Mais personne ne
songe à aller se mettre à table, si ce n'est quelques mamans obligées
d'aller apaiser la faim des marmots en pleurs et des enfants en bas âge
auxquels se sont ajoutés ceux des familles sinistrées.
En début d'après-midi, les pompiers de Neu-Sarrewerden (Ville-Neuve), de
Schopperten et même de Keskastel viennent à leur tour prêter main forte. A
14 h, le feu n'est toujours pas maîtrisé ! Brusquement, un cri déchire le
lieu du sinistre. « Un brancard, vite ! » A proximité de l'une des maisons
en feu, des pompiers de Sarre-Union s'efforcent de porter secours à l'un
des leurs. Le mur contre lequel le sapeur Conrad Hersch avait dressé son
échelle s'est écroulé, entraînant le malheureux dans le brasier. Avec
difficulté, ses collègues parviennent à retirer du foyer celui qui,
ramoneur de métier, n'hésitait pas à lutter contre le feu aux endroits les
plus périlleux. Grièvement brûlé au ventre et aux jambes, il est
transporté au plus vite à Sarre-Union pour recevoir les premiers soins du
docteur Dietz, médecin cantonal.
Achat d'une pompe à incendie
Ce n'est que vers cinq heures du soir que les pompiers auront la maîtrise
du feu. A présent, Sarrewerden ressemble à un village sorti tout droit des
années de guerre. Le centre de la localité n'est que ruines calcinées d'où
s'élèvent toujours des volutes de fumée noire. L'air y est irrespirable.
Cinq maisons ont brûlé de fond en comble, quatre ont été sérieusement
touchées ! Il faudra rester vigilant toute la nuit et au cours de la
journée du lendemain pour éviter une reprise du feu ! Sapeurs et
volontaires sont exténués. Le maire Frantz donne des ordres pour que l'on
restaure aux frais de la commune tous ceux qui ont prêté main forte, alors
que, pour les chevaux, ont été prévues des rations d'avoine. Il y a
également lieu de reloger au plus vite les familles sinistrées qui, par
miracle, étaient toutes assurées contre les incendies.
Au cours des semaines suivantes, Jacques Frantz convoqua plusieurs fois
les édiles. Il était de première urgence de concrétiser le projet d'achat
d'une pompe à incendie déjà évoqué le 12 juillet 1874, puis remis à plus
tard. Contrairement à d'autres communes environnantes, Sarrewerden ne
possédait toujours pas de matériel propre à lutter contre le feu. Une
pompe fabriquée par la firme « Béduwé » d'Aix-la-Chapelle sera livrée dès
l'année suivante et trouvera place dans le tout nouveau dépôt d'incendie
communal. S'ensuivra la création officielle d'un corps de sapeurs-pompiers
en 1878, placé sous les ordres du chef Antoine Mintzior, un ancien du 96e
régiment d'infanterie qui venait d'être libéré de ses obligations
militaires.
Auteur, Jean-Louis Wilbert