![]() |
Le diplôme, combien prestigieux, évoque bien des souvenirs comme nous l'avaient déjà rappelé,
il y a plus de vingt ans, Lina Koeppel et Henri Wurtz, deux regrettés habitants de Bischtroff-sur-Sarre,
heureux lauréats du certif' en 1922. Le train attendait
"En 1918, nous avions déjà suivi, quatre années durant,
un enseignement allemand avec M. Geyer, notre maître d'école d'alors. Mais ce fut à Henri Klein,
nommé à Bischtroff après l'armistice, qu'incomba la lourde tâche de nous familiariser avec la langue
française combien étrangère pour nous à cette époque. Après un stage de recyclage à « l'intérieur »,
notre maître prit la classe en mains et, lorsque l'Education Nationale recensa les candidats à cet
examen, il inscrivit d'emblée trois élèves du cours concerné : Lina Hochstrasser, Lina Koeppel et
Henri Wurtz. La date retenue pour les épreuves avait été fixée au lundi 1er mai 1922, jour encore
non férié à l'époque. Le centre retenu pour l'examen était Obermodern. La veille du grand jour,
des forains avaient monté sur la place du village un manège à la plus grande joie de la jeunesse du
village. Mais notre maître nous avait strictement défendu de nous y rendre. C'est qu'il tenait à nous
voir frais et dispos à l'aube, le départ ayant été fixé à 3 h du matin !
Et bien avant le lever du jour, on pouvait voir cahoter par monts et vaux, sur la petite route menant
de Bischtroff à Adamswiller via Burbach et Rexingen, une carriole que tirait allègrement un cheval.
Sur les sièges avaient pris place le cocher - notre maître- et ses trois élèves enfermés dans un
mutisme religieux ! Nous avions, en effet, le coeur serré après une nuit de sommeil plutôt agitée.
Qu'allait nous réserver ce voyage vers l'inconnu et cette inquiétante journée que nous étions les
premiers à découvrir ?
A Adamswiller prit fin la première étape du voyage. Le cheval dételé et
mené à l'écurie chez des amis à notre maître, nous nous dirigeâmes à pied vers la gare, non sans
avoir eu droit à un grand bol de café fumant. Tout à coup, alors que nous avions encore quelques
centaines de mètres à parcourir, nous entendions le train siffler dans la vallée de l'Eichel pour
annoncer son entrée en gare d'Adamswiller. Notre maître stoppa net et blêmit ! Puis, d'un geste
rageur, il jeta son sac à terre et prit les jambes à son cou. « Je vous devance par un raccourci !
Essayez de me suivre au plus vite, s'écria-t-il, et surtout, n'oubliez pas mon sac tyrolien ! »
Et déjà, il disparaissait derrière les haies !
A Obermodern, nous retrouvions une cinquantaine de candidats et les épreuves débutèrent.
Le sujet de rédaction était le suivant : « Les travaux dans l'agriculture au printemps. »
Henri Wurtz se rappelait avoir mentionné les grosses pluies d'avril, cause d'une mauvaise
récolte de fruits. Après le repas de midi offert par M. Klein dans une auberge d'Obermodern
se déroulèrent les épreuves orales. Mina Koeppel dut réciter « Après la bataille » de Victor Hugo,
texte qu'elle connaissait encore par coeur soixante ans plus tard. A M. Wurtz,
l'examinateur posa des questions sur la carrière des pierres calcaires de Sarrewerden et les
multiples emplois de la chaux...
Vers 16 h eut lieu la proclamation des résultats. Nous étions - et notre maître aussi - dans
les petits souliers ! Mais les trois candidats de Bischtroff avaient été reçus haut la main.
Comme tous les autres lauréats, ils eurent droit à un grand diplôme et au dictionnaire français.
Inutile d'évoquer l'allégresse qui régnait dans les wagons sur le chemin de retour.
« Nous dansions comme des fous avec les lauréats des autres localités. Quant à notre maître,
heureux et fier, il nous laissait faire, tout en savourant avec un réel bonheur sa grosse
pipe ! » se rappelaient Mina Koeppel et Henri Wurtz.
Et ce n'est que vers minuit que la carriole ramena les petits « génies » à Bischtroff.
Les parents les attendaient sur le pas de la porte. Toute la journée, ils s'étaient fait
du mouron pour leur progéniture partie au loin et soumise à de méchantes questions.
Les enfants « prodige » eurent droit, avec la bise du coucher, à une longue nuit réparatrice.
En effet, réussir en 1922 le certificat d'études primaires était alors un grand événement dans
les petites communes d'Alsace !"
Auteur, Jean-Louis Wilbert